❝ Passer sa vie à regretter un amour perdu prouve que l'on a aimé vraiment et que notre existence ne fut pas totalement vaine. ❞
histoire.
Jamais je n’avais pensé en arriver là. Je n’avais pas eu l’enfance dont toutes les petites filles rêvaient. Mon père était parti quand j’avais trois ans. J’avais grandi avec un manque. Je pensais que je lui manquais. Et surtout, je m’étais mise dans la tête que c’était à cause de ma mère s’il était parti. J’avais fini par lui en vouloir, comme si elle m’avait arraché un être cher. Comme si elle avait fait quelque chose de mal, que je ne méritais pas de ne pas avoir de père mais qu’elle, elle avait mérité d’être abandonnée par son mari. Et puis j’avais fini par apprendre la vérité.
« Dylan, ton père m’a quittée pour une autre. Il est tombé amoureux d’une autre pendant que j’étais enceinte de toi. Quand je suis rentrée, il était parti, et je n’ai rien pu faire. » Voilà, j’avais dix ans et je venais d’apprendre que mon père était un lâche. Il s’était même marié avec sa grognasse. J’avais dix ans, et après cette révélation, j’avais l’impression que je devais protéger ma mère. De quoi ? Je ne saurais pas vous dire mais c’était ce que je ressentais. Qu’est-ce qu’on peut être stupide à cet âge, j’en reviens pas. Mais, j’avais l’impression d’être la seule personne qui comptait pour ma mère. Je me faisais des idées. La naïveté du jeune âge surement. Nous ne manquions pas d’argent. Vous connaissez la famille Monroe, n’est-ce pas ? C’est la mienne. Une maison d’édition nous appartient, et ma mère en a eu la succession, comme le voulait la tradition. A partir de ce moment, elle ne pensait qu’à ça et je n’étais plus qu’une sorte d’apprentie pour elle. Je devais toujours être la meilleure, je devais atteindre les sommets parce que
« oui, ma fille, tu reprendras la maison d’édition plus tard. Tu te dois d’être à la hauteur. » et comme une imbécile, je faisais tout mon possible pour être à la hauteur. Je voulais surpasser les autres, je voulais être la première, quitte à me faire détester. J’adorais lire et puis c’était devenu une corvée, une sanction je n’en pouvais plus. Mon cœur non plus apparemment.
Le médecin que j’ai eu après mon malaise au collège était plutôt mignon. Mais il avait cet air grave, que tous ces médecins prennent pour annoncer une mauvaise nouvelle.
« Comment tu te sens, Dylan ? » Comment je me sentais ? bonne question…
« Endormie » C’était le premier mot qui m’était venue à l’esprit. Au fond, je me sentais bien plus qu’endormie, j’étais comme vidée de mes batteries. Et puis, il avait prononcé ces mots, il avait regardé ma mère et lui avait annoncé que j’étais malade. Une cardiomyopathie hypertrophique. Vous y croyez, vous ? J’avais quatorze ans et je devais avouer que j’avais rien compris à son charabia. Enfin, j’avais compris que j’étais née avec, mais qu’elle s’était manifestée seulement maintenant. On ne savait pas trop pourquoi. Alors, j’avais commencé à prendre des médicaments, à faire de nombreuses visites à l’hôpital. Mais tout ça, c’était rien à côté du regard de ma mère. Je n’oublierais jamais le regard qu’elle a commencé à porter sur moi à partir de ce jour-là. Comme si je n’étais plus sa fille, je n’étais plus aussi intéressante. Comment une fille qui pouvait mourir à tout moment allait-elle faire pour prendre la tête de « Chez Monroe’s » ? Voilà ce que je lisais dans son regard. J’ai commencé à vivre pour moi, j’ai commencé à ne plus suivre ses règles. Mais c’était trop ancré en moi, vouloir être la meilleure, c’était ce que j’étais. Et puis, j’ai commencé à me refermer sur moi-même, je voulais pas qu’on me prenne en pitié à cause de ma maladie. C’était inconcevable pour moi. Alors, je m’entourais de gens qui ne me connaissait pas vraiment mais qui me donnait l’illusion d’avoir des amis.
« Salut » Qui était donc cette fille installée dans mon salon avec ma mère ? Croyez-moi, rentrer du lycée et découvrir une parfaite inconnue, ça faisait bizarre.
« C’est ta sœur, enfin demi-sœur, elle vivra avec nous à présent. » Et là, c’était sorti tout seul.
« Pardon ? » Non, ce n’était pas possible, je ne pouvais pas avoir une demi-sœur. Sasha, qu’elle s’appelait. Oui, nous avions apparemment un père branché prénom mixte. Elle avait un an de moins que moi, soit quinze ans. Un an de moins ? Je me souvenais avoir essayé de me souvenir ce que m’avait dit ma mère sur les raisons qui avait poussé mon père à la quitter. Quel hypocrite ! Il avait eu une autre fille. C’était donc de ma mère qu’il ne voulait pas, pas de moi. De toute manière, je ne le saurais jamais puisque mon père était mort. C’était pour cette raison que Sasha venait habiter avec nous. Immédiatement, ma mère la considéra comme sa propre fille, bien plus qu’avec moi. Elle nous mettait sans cesse en compétition, et j’ai fini par détester cette fille. Détester cette fille parce qu’elle m’avait pris mon père, mais qu’elle me prenait ma mère aussi. Je me suis mise à la détester si fort. Elle n’hésitait pas à utiliser ma maladie pour se sentir supérieure.
« Sean McGarrett » Je lui avais souri.
« Dylan Monroe ». Et puis il m’avait présenté Maël, son meilleur ami depuis l’enfance. Ils étaient totalement opposés et pourtant leur lien ne s’était jamais brisé. Sean était comme moi, riche, ambitieux, destiné à reprendre le cabinet d’avocat de son père. Maël, lui, vivait au jour le jour, il ne savait pas vraiment ce qu’il voulait faire de sa vie. Et sans m’en rendre compte, les deux me plaisaient.
« ça te dit qu’on sorte un soir ? » Sean s’était lancé le premier. J’avais tellement espéré que ce serait Maël. Mais non, alors j’avais accepté la proposition de Sean. C’en était suivi un puis deux puis trois rendez-vous. J’étais en train de tomber amoureuse de lui. Le problème, c’était que dans le même temps, je tombais amoureuse de Maël et l’amour que j’avais pour Maël me retournait l’estomac tellement il était fort. Je n’avais jamais ressenti ça. Il aurait été si simple de dire la vérité mais non… j’étais restée avec Sean. Je me suis mise à les aimer de façon différente. Je n’avais que dix-huit ans, j’étais trop jeune pour comprendre ce que cela signifiait. En sortant du lycée, j’ai entamé des études de lettres, comme c’était prévu.
« Je veux passer ma vie avec toi, Dylan. Épouses-moi » Vous dire que je m’attendais à ça serait un mensonge. Je venais d’avoir dix-neuf ans, ça faisait presque deux ans que nous étions ensemble mais… me marier ? Non, ça n’était pas dans mes plans… Pas le moins du monde.
« J’ai besoin de réfléchir » Voilà ce que je lui avais dit, et il était tellement gentil qu’il avait accepté. Évidemment, ma mère me poussait à accepter.
« Penses à ton avenir, Dylan. A ton cœur… » Tu parles, elle entendait par là « penses à son argent ». Nous avions peut-être de l’argent mais pas assez pour me payer le meilleur chirurgien au monde et pour me faire passer première sur la liste d’attente pour la greffe de cœur.
« Je t’aime Dylan. Tu peux pas l’épouser » ça, c’était Maël. Il avait décidé ce moment pour me dire ce qu’il ressentait. J’aurais dû me sentir coupable et pourtant je me sentais si légère lorsqu’il me l’a avoué. J’avais l’impression que tout ce qui était autour de nous n’existait plus et qu’il ne restait que nous deux. Encore une fois, j’avais tort. Je m’en suis rendue compte quand ma mère nous a surpris ce jour-là à nous embrasser dans ma chambre. Ce baiser m’avait donné des frissons dans tout le corps et ma mère avait tout gâché. J’avais tenté de l’éviter mais elle était entrée dans ma chambre, s’était assise sur mon lit et m’avait lancé
« Écoutes, Sean est quelqu'un de bien. Te marier avec lui est la meilleure chose qui puisse t'arriver. » Je n’en avais pas cru mes oreilles. Sa voix était ferme, comme si elle me donnait un ordre.
« Et si j’en avais pas envie ? Si j’en aimais un autre ? Tu te fous vraiment de savoir si je suis heureuse ou pas hein ? » J’étais assise à mon bureau, travaillant sur un devoir et je n’avais même pas pris la peine de me retourner pour la regarder.
« Ne me parles pas de Maël, s'il te plaît ! Il n'est pas pour toi, je le sais. » C’était la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. Je m’étais retournée et lui avais fait face.
« Tu ne comprends rien ! ça n’a rien à voir avec Maël. » Mentir était le seul moyen que j’avais trouvé pour protéger Maël, je ne voulais pas qu’il lui arrive des ennuis. Mais ma mère avait continué
« Bien sûr que si, tout a à voir avec ce bon à rien. Sean t’apportera le confort dont tu as besoin, il sera là pour ta maladie. » Ma maladie ? Comme si elle en avait quelque chose à faire de ma maladie.
« Depuis quand tu te soucies de ma maladie ? » Cette fois, je criais presque alors ma mère s’était levée. J’étais prête à ce qu’elle crie aussi mais elle n’en fit rien. Elle se contenta de répliquer d’un ton sec
« Ne fais pas l'enfant ! Tu accepteras cette demande en mariage ! Et je ne veux plus que tu revois ce Maël, est-ce que c'est clair, ma fille ? »J’en avais plus que marre. Soudain, Longside Creek m’étouffait. Soudain, j’avais envie de tourner la page. Et puis, j’avais eu un énième malaise. Plus grave cette fois-ci. Il fallait que je me fasse transplanter. Mais bon, comme je le disais, j’étais loin derrière et une telle opération fait des dégâts, financièrement parlant. Alors j’avais dit oui. J’allais épouser Sean. Je m’étais presque convaincue que je le voulais vraiment. J’avais vingt-et-un ans depuis un mois lorsque j’ai épousé Sean. Tout s’était fait dans les règles de l’art, j’avais ma grande robe blanche, j’étais coiffée d’un élégant chignon. Sean était beau dans son costume. Et j’avais souri.
« Je peux t’emprunter ton épouse pour une danse ? » Je dansais avec Sean lorsque Maël le lui a demandé. Mon mari avait accepté avec un sourire. Une fois ce dernier parti, Maël m’avait prise dans ses bras. J’avais presque oublié à quel point son contact me réchauffait le cœur, me donnait des frissons.
« Tu es magnifique, Emerson. » Non, pourquoi il faisait ça ? Il était le seul à m’appeler par mon second prénom, le seul que je laissais faire. Mais, il ne pouvait pas, pas là, pas maintenant.
« J’aurais aimé être à sa place » Cette phrase. C’était pire que tout. Pourquoi il avait dit ça ?
« Arrêtes Maël, s’il te plaît. » Il m’avait regardée, et je n’avais pas su maintenir son regard. Je n’arrivais pas à le regarder dans les yeux pour lui dire ce que j’allais lui dire.
« Je l’ai épousé parce que je le voulais, c’est tout. » Même sans le regarder, je sentais qu’il savait que je mentais.
« Non, je sais que c’est faux, Dylan. Et tu le sais aussi ! » Comment pouvait-il dire ça ? Et surtout, comment pouvait-il me connaître autant ? J’avais parfois l’impression qu’il me connaissait mieux que je ne me connaisse moi-même. Pourtant, je m’étais forcée à le regarder dans les yeux.
« Je l’aime. Ne rends pas ça plus difficile que ça ne l’est. Je suis amoureuse de lui. » ça sonnait faux mais il fallait que j’arrive à m’en convaincre. Il m’avait alors simplement demandé
« Et moi dans tout ça ? » J’essayais de lire dans son regard et je voyais qu’il n’était pas en colère, juste perdu, et ça me faisait mal au cœur.
« Je t’aime aussi, tu le sais… mais ça ne marche pas comme ça » J’avais à peine fini ma phrase qu’il s’était arrêté. J’avais à peine remarqué que nous dansions machinalement. Il m’avait lancé un regard résigné, résigné à ce que je ne lui appartienne pas et il m’avait plantée là, en plein milieu de la piste de danse.
A partir de ce jour, j’étais devenue Dylan McGarrett. Et à partir de ce jour, j’étais devenue une menteuse hors pair. Mon mariage a duré un an. Un an que j’ai passé à tromper mon cher mari avec son meilleur ami, parce que Sean n’a jamais su m’apporter ce que Maël m’apportait. Parce que Sean n’en avait que faire de moi, qu’il ne pensait qu’à sa carrière. Heureuse, je ne l’étais pas. J’avais de l’affection pour Sean mais nous n’étions pas amoureux. Nous étions tout au plus amis. Pourtant, la façon dont mon mariage s’est terminé m’a fait mal. Je venais d’apprendre que j’étais enceinte. Évidemment, j’étais enceinte de Maël mais je devais à tout prix le dire à Sean.
« Je dois prendre l’avion dans une demie heure avec mon père, je reviens demain » Il m’avait embrassée sur le front et il était parti avant même que je n’ai eu le temps d’ouvrir la bouche. Ça faisait du bien de se sentir écoutée ! Que devais-je faire ? Prévenir Maël. J’y avais réfléchis toute la journée. Et puis, on m’avait appelée.
« Madame McGarrett ? Inspecteur Pierce. Votre mari a eu un accident. » Mon mari avait eu un accident ? Soudain, j’avais eu la tête qui tournait, j’avais l’impression que le sol se dérobait sous mes pieds. J’avais raccroché et j’avais fondu en larmes. Non, il ne pouvait pas être mort. Pourtant, c’était le cas, son avion s’était crashé et son père et lui étaient morts. J’avais pleuré pendant des heures, recroquevillée sur mon lit. Je m’étais réveillée le lendemain, dans un bain de sang. Je savais ce que ça voulait dire, pourtant je ne m’étais pas rendue de suite à l’hôpital. Comme si je savais que je le méritais.
« Je suis désolée, Dylan, mais il est possible que vous ne tombiez plus jamais enceinte » Ma fausse couche avait entraîné un endommagement des trompes. Cette fois, c’en était trop. J’avais attendu l’enterrement de Sean puis j’avais fait mes valises et j’avais quitté Longside. Je ne pouvais plus rester, ça faisait trop mal. J’avais tout quitté.
Londres avait été ma destination. J’avais toujours rêvé d’y aller. J’y suis restée presque cinq ans. Je m’y sentais chez moi. Jusqu’au jour où, il y a un an, je me suis rendue compte que chez moi, c’était à Longside Creek alors j’étais rentrée. J’avais retrouvé l’appartement que je partageais avec Sean. Rien n’avait bougé. Et puis, j’y ai découvert une lettre de Sean. Il voulait me quitter, il était amoureux d’une autre. Cette autre, c’était Sasha. Et, malgré le fait que je le trompais avec Maël, je ne pouvais m’empêcher de la détester encore plus. Sean disait également qu’il savait pour Maël et moi et qu’ils ne nous en voulaient pas. Finalement, nous avions toujours été d’accord sur une chose : nous n’étions que des amis. Aujourd’hui, j’avais vingt-huit ans. J’étais enfin devenue éditrice, même si j’étais persuadée que ma mère ne me léguerait jamais la maison d’édition familiale après ma fugue d’il y a six ans. Mais, à dire vrai, je m’en moquais un peu parce que j’avais l’impression d’enfin m’être émancipée d’elle. Ma chère mère m’avait offert un magnifique loft… loft que je devais partager avec Sasha, que je détestais toujours autant. Je lui en voulais tellement. Je savais très bien que je n’étais pas parfaite, que j’étais amoureuse du meilleur ami de mon défunt mari mais n’étions-nous pas censées faire partie de la même famille ? Je n’en savais rien mais j’avais l’impression qu’elle voulait simplement me prouver qu’elle pouvait tout me voler, qu’elle me haïssait tellement que me faire du mal était un vrai plaisir. Maël avait eu du mal à me pardonner, mais j’étais encore tellement amoureuse de lui que je ne pouvais pas ne pas tenter de reconstruire notre relation. Je devais le retrouver. Et, pour ça, je sais que je devais lui dire que j'avais été enceinte de lui. Ma transplantation ? Je l’attendais toujours.