❝ Je me suis senti comme un requin-tigre. Vous savez que les requins quand ils avancent plus, ils crèvent ? Et le requin-tigre, c'est le plus agressif.Quand il est immobilisé, il défonce tout ce qui passe… ❞
histoire.
Fils de riches propriétaires immobiliers, William a toujours jouit de conditions matérielles très confortables. La famille Standford faisait partie du gratin londonien, de ceux à inviter absolument à chaque réception : soit pour y investir ou pour trouver un logement à leurs enfants chéris, tout le monde avait besoin d'amis dans l'immobilier. Pour le fils unique de cette grande famille aristocrate qui tenait à conserver son statut social et son Empire, vivre dans un milieu aisé avait un prix.
« Mais Papa, t'avais promis » Le petit William, 7 ans s'était planté devant son père, ses grands yeux, l'implorant de l'accompagner au match de baseball.
« Je sais mon grand mais j'ai beaucoup de travail. La maman de Peter va filmer, on regardera ça à la maison d'accord ? Et la prochaine fois je viendrai te voir, cette fois je te le promet. » Il ébouriffa tendrement les cheveux de son fils avant de quitter la père pour s'enfermer dans son bureau.
« Tu l'as déjà dis la dernière fois. » William avait en réalité élevé par la gouvernante. Eva était polonaise, c'était elle qui était chargée d'inculquer les bonnes manières au jeune William. Pour autant, Eva n'était pas sa mère et William était la plupart du temps retranché dans sa solitude. Ses parents l'aimaient, il n'en avait jamais douté mais chaque jour, Will souffrait de leur manque de disponibilité. L'ennui l'avait conduit de façon précoce à s'intéresser aux livres et aux films. Il avait appris à lire tout seul à 5 ans. A 7 ans, il préférait regarder des films d'adultes plutôt que des dessins animés qu'il considérait être pour des bébés. Il avait grandi plus vite que les autres enfants dont les jeux pour gamins l'ennuyaient profondément. Ses parents l'avaient mis très tôt dans l'enseignement privé, conscient de la précocité de leur fils. Ses professeurs reconnurent en lui un élève brillant mais plus intéressé par les cours facultatifs d'arts et la photographie que par la physique et les mathématiques. William s'était découvert une passion : celle de prendre l'image d'un instant, une tranche de vie, un paysage et de la sublimer pour en faire une vraie œuvre d'art. Il se passionna également pour la littérature, la peinture, le cinéma.
Il était âgé d'à peine 8 ans lorsqu'ils quittèrent Londres pour New-York : L'empire familial s'étendait encore davantage et il fallait faire fructifier les investissements gigantesques consentis. William ne fit pas de vagues lorsqu'il fût envoyé au pensionnat. De toutes manières ça ne changeait pas grand-chose, il ne verrait pas beaucoup moins ses parents.
« Hey ! Psssst ! L'encyclopédie ! » William feignit de ne rien entendre, il n'avait pas la moindre envie de taper la causette en plein milieu de la bibliothèque du pensionnat. La documentaliste, qui avait hérité de l'éclairant sobriquet de « Mme Chut » faisait scrupuleusement respecter le silence. Le jeune homme quant à lui se faisait appeler « l'encyclopédie » par la plupart de ses camarades de pensionnat, sa culture étant bien plus développée que celle de la plupart des jeunes garçons de son âge.
« Merde quoi, répond moi ! C'est quoi ton nom déjà ? Wilfried ? ». Will fini par se retourner vers un garçon de son âge d'un roux flamboyant. Ses yeux verts étaient à la fois doux et espiègles.
« William. Mon nom c'est William. Qu'est-ce que tu veux ? ». Le rouquin, pas le moins du monde perturbé par la froideur de son interlocuteur, demanda :
« Tu as lu Madame Bovary ? ».
« Ouais, pourquoi ». Le rouquin s'agita sur sa chaise, visiblement mal à l'aise de demander à un inconnu un service.
« Bah, je l'ai pas lu et j'ai une interro tout à l'heure. Si je me tape encore une sale note en littérature mon père va me tuer. Ce serait vraiment sympa de ta part si tu pouvais me faire un résumé rapido. Genre le best of à savoir sur la mère Bovary. » « Et pourquoi je ferai ça pour toi ? » « Parce que tu me sauverais la vie » répondit le garçon sans se démonter
« Et aussi parce que je ne t'ai jamais balancé pour toutes les fois où tu files en douce du dortoir. » « Chut !!! ». Mme Chut les regardait d'un mauvais œil.William soupira.
« Ok, mais pas ici. Je te fais un résumé et tu gardes pour toi mes escapades nocturnes ».
« Ca marche, au fait, je m'appelle... » « Alexander je sais. C'est pas pour rien qu'on m'appelle L'Encyclopédie ».❝ Je suis une sale bête, une bouteille de gaz dans une cheminée ❞
C'était un soir de janvier. La neige tombait sans discontinuer en épais flocons. John Standford revenait d'un gala de charité donné par l'une des grandes familles New-Yorkaises, en périphérie de la ville. Le chauffeur familial la ramenait auprès de sa femme resté chez eux. Dans la mercedès noire, bercé par le "stranger in the night" de Frank Sinatra, John s'endormit. Soudain, un éclair, une embardée. Il n'eut pas le temps de comprendre, il n'eut pas le temps de souffrir. Un peu plus loin, on apprenait à un adolescent de 15 ans qu'il avait perdu son père à cause d'un jeune fêtard ivre qui avait pris le volant.
Sa mère, Hannah, ne s'en remis jamais. Elle sombra dans une profonde dépression dont William ne pu l'extraire. Pendant un an il s'échina à l'obliger à sortir, mais elle s'était coupée de tous ceux qui l'entouraient. La famille Standford n'étant plus la famille puissante d'autrefois et, malgré leur fortune, l'Empire déclinait sans personne pour s'en occuper. Hannah fût déclarée inapte à gérer les affaires familiales, et l'entreprise fût mise en gérance en attendant la majorité de William, désormais seul héritier de l'entreprise. Ce fût sans doute le coup de grâce pour Hannah qui se suicida quelques jours plus tard faisant de son fils, un orphelin. William la retrouva le soir même allongée dans son lit, une boite de pilules sur la table de chevet. Pour la première fois depuis un an, ses traits semblaient apaisés, comme si dans la mort elle avait retrouvé la place qu'elle avait perdu dans sa vie. William fût anéanti. Pour oublier sa douleur, mais aussi la rancœur qu'il avait pour celle qui l'avait abandonné et qui avait cessé de se battre pour lui, il devint tout ce que sa mère détestait. Il sombra dans l'alcool, enchaînait cigarettes sur cigarettes et devint consommateur régulier de coke. Il fréquenta des bars et quartiers peu recommandables, repéré pour sa carrure et son côté « j'ai plus rien à perdre », il se mit à trainer et à travailler pour des revendeurs de drogue. La violence était devenue son crédo, il n’hésitait pas à menacer, frapper, démolir les types en retard sur le paiement de leur dope. Il ne contrôlait pas cette rage qu'il avait en lui et pour oubliait sa vie minable, il se défonçait. Ses journées et ses nuits se résumaient au deal de coke, aux passages à tabac, à la défonce aux beuveries et aux coups d'un soir avec la première venue.
Il passait de temps en temps sa nuit au poste de police mais les gérants et actionnaires de l'entreprise familiale intervenaient pour payer la caution et acheter le silence des policiers. S'il sortait dans la presse que le riche héritier de la famille Standford était incarcéré pour consommation et vente de stupéfiants, ce serait très mauvais pour les affaires. Ce manège dura presque 4 ans. Alexander, devenu son meilleur ami, était la seule personne qui le reliait à sa vie d'avant. Il avait bien essayé de raisonner son ami mais c'était peine perdue. Un soir, il retrouva William dans son appartement en proie à une overdose. Le jeune homme fût immédiatement conduit à l'hôpital. Il y resta un an, l'hôpital était devenu sa prison. Les frais médicaux et le coût de ses séances qui le psy étaient payés par la firme autrefois familiale, qui se félicitait de ne plus entendre parler de lui.
Alexander lui rendait visite tous les jours et ce fût grâce à lui que Will s'accrocha pour de sevrer de ses addictions et se remettre sur pied. A 21 ans, il sortit de l'hôpital et hérita de la fortune de ses parents. Étant l'héritier légitime de la famille et actionnaire principal de la firme, on lui offrit la possibilité de siéger au conseil d'Administration. Il déclina la proposition et nomma un homme de confiance de ses parents pour le représenter. Il avait trop honte de ce qu'il avait fait pour oser se montrer devant les actionnaires de l'entreprise de ses parents, et puis de toutes manières, il n'était pas fait pour les affaires. Il se contentait de son droit à toucher les bénéfices de ses actions, ce qui, en plus de la fortune dont il avait hérité, lui permettait de vivre très confortablement sans avoir à travailler.
❝ Si on me l'avait dit j'y aurais pas cru, alors je me repasse le film en continu ❞
Alexander avait trouvé du travail dans une petite ville du nom de Longside Creek. Il avait insisté pour que William l'accompagne et qu'ils se mettent en colocation. A 22 ans, William avait accepté, il avait besoin de changer d'air, d'aller dans un endroit ou personne ne le connaissait. Longside Creek, petite ville de Caroline du Sud au bord du fleuve Santee semblait parfaite. Alexander encouragea William à se lancer comme photographe en freelance, sa passion pour la photo ne l'ayant jamais quitté, mais le jeune homme refusa. Au lieu de cela, il préféra se calfeutrer dans leur grand appartement, se coupant de toutes les tentations extérieures et s'évitant ainsi de retomber dans la drogue et l'alcool. Il passait ses journées entre sa chambre et son labo photo, à faire des couleurs et montages. Il lisait, regardait des films, jouait parfois aux jeux vidéos avec Alexander et fumait des clopes, seule addiction dont il n'avait pas pu se débarrasser. Maintenant qu'il savait qu'il était capable de la pire cruauté humaine. Sa rage et sa violence lui avaient été révélées et il éprouvait pour lui-même un profond dégoût. Malgré tout ce qu'il avait vu de son ami lorsqu'il était au fond du trou, Alexander ne l'avait pas abandonné. Sans lui, William aurait été retrouvé mort dans son appartement ou dans le caniveau depuis bien longtemps. William lui devait la vie, et encore aujourd'hui, le rouquin s'évertuait à vouloir le protéger de lui-même et de ses démons.
Alexander était profondément empathique, généreux et attentionné, parfois trop. Récemment, il a ramassé une clocharde dans la rue. C'est une des rares fois où ils se sont disputés. William n'apprécie pas spécialement la présence de l'intruse chez eux. Il ne s'était pas isolé pour rien, la peur de se faire rattraper par ses anciens démons était toujours présente et la jeune femme pourrait en faire les frais. S'il l'avait accepté, c'était uniquement parce qu'il avait la possibilité de se retrancher dans ses quartiers lorsqu'elle était là et parce qu'il se sentait redevable envers Alexander. Il l'avait croisé une ou deux fois et finalement, elle n'était pas si mal. Pour les deux jeunes hommes, c'est agréable d'avoir de la cuisine plus élaborée, plus équilibrée et plus variée que des pizzas, des pâtes et du fast food. Elle ne l'envahie pas, ne lui pose pas dix milliards de questions et repasse ses fringues.
Il avait maintenu la distance en l'évitant, il se fichait alors bien qu'elle puisse le prendre pour un crétin asocial cela l'arrangeait même plutôt. De cette manière, elle ne viendrait pas fouiner dans ses affaires. Il avait tenu des mois comme ça, lui faisant comprendre par son attitude froide et hautaine qu'il la tolérait uniquement pour Alexander mais qu'il n'avait aucune envie de tisser des liens avec elle. Malgré toute la force de conviction qu'il avait mit pour n'inspirer à la jeune femme que désintérêt et antipathie, William avait fini par se laisser approcher par une soirée d'hiver, son éducation bourgeoise lui interdisant d'aller jusqu'à fermer la porte au nez de la jolie demoiselle après lui avoir enlevé des mains la soupe qu'elle lui avait préparé. Ce soir là, à force de patience, elle avait réussit à le désarmer et il s'était laissé aller à un élan de tendresse pour elle. La confidence de la jeune femme sur sa jeunesse marquée par un père violent avait soudainement réveillé son instinct protecteur et son désir profond de se laisser apprivoiser. Cette soirée marquait le début d'une relation compliquée et ambiguë faite de tendresse, de jeux taquins et d'attachement mais aussi de non dits et de quiproquos et ponctuée de violentes disputes qui trouvaient souvent leur source dans la jalousie. Il était évident qu'ils se plaisaient, et les baisers qu'ils échangeait étaient criants de vérité, eux seuls ne parvenaient pas à sauter le pas. Ce que Will adore chez elle, c'est son sens de l'humour décapant, sa capacité à tout absorber et à toujours vouloir en savoir plus, sa douceur et sa générosité extrême, même son enthousiasme qui avait tendance à l'agacer au début l'attendrit aujourd'hui.
❝ Jusqu'ici j'ai pas trouvé des tas de raisons d'exister. Mais j'ai besoin de croire en quelque chose de profond de solide. Je voudrais être à tes côtés, simplement. Pour que la vie ne puisse jamais nous mettre à genoux. ❞Suite à cette soirée, les ambiguïtés et quiproquos furent nombreux, Will voulait la protéger de lui même et de sa partie sombre alors qu'elle se pensait rejetée, pas assez bien pour lui. Il leur arrivait de se balancer des horreurs à la figure, dans le seul but de faire réagir l'autre. Et puis un jour, ce qui devait arriver depuis longtemps se produisit, ils en eurent assez de se tourner autour et acceptèrent d'assumer ce qu'ils ressentaient l'un pour l'autre. Dès lors, ce fût une toute nouvelle aventure : celle de se définir et de vivre en couple alors qu'aucun d'entre eux n'en avait jamais fait l'expérience. Leur relation est faite de haut et de bas, comme toutes les relations amoureuses, sauf qu'eux, personne ne les attendait. Le beau et la clocharde, la Belle et la Bête, bref, William et Gillian reprennent à eux seuls tous les contes même si leur relation n'est pas dégoulinante de romantisme. Ils sont deux êtres perdus, avec leur caractères respectifs et leurs différences, qui se sont trouvés. Entre l'orgueil démesuré de l'un et le complexe d'infériorité maladif de l'autre, tout n'est pas toujours rose, et avec le départ imminent de Gillian pour l'Université de Columbia, rien n'est gagner d'avance. Il devront faire des efforts, apprendre à vivre séparés et à lisser leurs humeurs encore débordantes mais cela représente aussi une opportunité pour eux de tester leur couple. William Standford le riche hériter reclus, glacial et taciturne était devenu amant et ami d'une femme qui avait vécu des années dans la rue, qui l'aurait cru ? Qui aurait pu deviner il y a quelques mois de cela qu'il prendrait sa main dans la rue, qu'il lui quémanderait une étreinte la nuit venue, qu'il écouterait ses histoires au travail ou qu'il l'aiderait dans ses longues soirées de révisions ? Will se découvre une nature tendre qu'il ne soupçonnait pas et le quotidien avec Gillian est tellement doux.Elle est même parvenue à l'ouvrir de nouveau au monde et aux gens à travers sa passion. L'espoir revient, la vie s'améliore. Les choses pourraient-elles pour une fois ne pas tourner au vinaigre ?